Préambule.
Le trois juillet mil neuf cent cinquante deux à dix neuf heures trente est né quai de la Charente le premier
garçon d’une famille en construction, reconnu par le père selon déclaration du quatre juillet mil neuf
cent cinquante deux à dix heures
et qui lecture faite, a signé avec Nous Pierre B., chevalier de la légion
d’honneur, adjoint au Maire, officier de l’Etat Civil, par délégation.
Voilà donc, pour moi qui suis désormais être-là, une bonne chose de faite. Un réel bien estampillé,
incontestable. Un état de fait irréversible. Un prélude destinal. Glissera-t-il
peinard vers la fin d’un siècle déjà bien entamé ? Cela reste à voir. Car pour
l’heure, lecteur pressé de tourner la page, l’acte d’officialisation de ma
présence dans notre monde n’offre aucune certitude en ce sens. Pas plus
d’ailleurs qu’il ne fait acte à penser que ce fut une fête, qu’il y avait là de
la joie, que surgissait un miracle nouveau venu transcender celui des Trente
Glorieuses où se tenait béate et travailleuse la génération de mes géniteurs
(et des tiens, non ?).
J’arrivais donc, impromptu, dans un monde qui
pansait alors les cicatrices de sa mondialisation guerrière, chargé, comme
entre tes mains aujourd’hui ce texte réparateur, des plus folles espérances.
« Je t’ai dans la peau » chantait déjà Edith Piaf mais « Si
toi aussi tu m’abandonnes » s’effrayait alors Lucienne Delyle,
éclairant de leurs chants contrapuntiques et simultanés les doutes qui pesaient
encore sur les progrès de l’heure mais qui, par miracle, poussaient l’air de
rien à la chose. Chose promise, chose
due : un fils au nom du père (des fils disparus, aussi) et de l’esprit du
temps, surtout. Il fallait reconstruire des familles entières, des routes et
des ponts, un corps électoral et des institutions, des armées altières, une
démocratie, une économie saine, des bourgeois exemplaires et, par ricochet, une
classe ouvrière. Tout un arsenal propre à construire le rêve d’une modernité
trop longtemps caché sous l’écho des bruits de bottes et d’un Arbeit macht frei à recycler d’urgence.
Oh ! Mon papa, si
beau, si doux, si généreux... (1), la tâche s’annonce délicate. La paix recouvrée (Enfin !
disais-tu) laisse encore entendre quelques bruits suspects. Dans ton ciel bleu – Le ciel est,
par-dessus le toit, si bleu, si calme ! (2)
– le Mystère II fait bang-bang, la bombe A
anglaise et la bombe H américaine font boum, boum. Et la mort de Paul
Eugène Grindel qui fait taire la voix de Paul Eluard n’est plus là pour couvrir
ces fureurs (n’est-ce-pas ?). Quelques-uns des mots qui, jusqu’ici,
m’étaient mystérieusement interdits (3)
viennent désormais construire chez moi (chez toi ?) une toute autre idée
de la situation, de la modernité en
question qui bruisse dans le vide des bouches... comme un concept creux.
Que
faire ?, dirait
Vladimir Ilitch Oulianov, de tout cet arsenal. Patience, cher ami lecteur,
complice des fabriques littéraires, tu ne vas pas tarder à le savoir !
Laisse-moi le temps nécessaire pour sortir des affres du besoin nutritif où je
me trouve encore, jaser mes gazouillis (aheu ! à eux ?) pour affiner
mes cordes, les bander à mon arc et grandir avec toi hors des carcans cois où
résident nos peurs.
(1) (Paroles
et Musique de J. Boyer, P. Burkhard, titre original : Oh ! Mein
Papa) (hommage funèbre repris en alternance par Suzy Delair et Tino Rossi)
(2)
Verlaine ou Rimbaud : rayer la mention inutile.
(3) Poème
de Paul Eluard adressé en 1937 à André Breton
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