Elle dit, de Yannick Kujawa est avant tout l'histoire d'une transmission
et d'une écoute. La transmission d'une mère, l'écoute d'un fils, dans une tentative d'éclaircissement historial
de l'intime, de re-saisissement de soi et de quelques autres dans le grand
fleuve de l'usure du temps, de l'oubli. Elle
dit, est aussi le titre d'une modestie. Un titre volontairement inapproprié
où l'auteur ne laisse momentanément entrevoir que la main blanche du scribe
alors même que le travail d'écriture excèdera le seul champ de la transcription
du dire. Elle dit, est
incontestablement une re-naissance, celle de la voix du fils-écrivain qui vient
faire sienne et autre la voix de la mère. L'autofiction existentielle de la
mère qui se dit, qui se donne et fait matière à un dépassement de ses impasses
par l'autre voie, par l'entremise du fils passeur, celle de l'écrit. L'écrit,
la voix. Est-ce cela un écrivain, un tripatouilleur de voix qui ne se satisfait
pas de les entendre et qui cherche, géomètre de scansions nouvelles, d'autres
résonnances propres à enrichir la seule palette de l'existant, comme une
modestie définitive où l'ex-sistence nous tient reclus?
mercredi 2 novembre 2016
mardi 18 octobre 2016
Par la littérature, humaine.
Pour qui suit avec attention la construction de
l'œuvre littéraire de Bertrand Leclair, il est aisé d'y apprécier la richesse
des variations autour du thème de la condition humaine. Pour qui exerce son
regard sur cette condition avec l'œil de la psychanalyse, il n'échappera pas
que le travail littéraire de cette œuvre excelle, tout autant voire mieux que
la conceptualité analytique, à en saisir toute la complexité.
Par la ville,
hostile est à cet égard un véritable
coup de génie tant l'exercice d'imagination déploie avec justesse l'interaction
(qui échappe trop souvent aux littératures contemporaines) des champs de la
subjectivité individuelle et du politique.
Une voix, celle d'une femme (1) désormais recluse dans le déni de toute mondanéité
possible, dans une ville-monde qui fabrique cette hostilité-là, ce soi en
colère qui ne s'appartient plus, qui s'entend ne plus vouloir s'appartenir, qui
se crache. Une voix, portée par la magie du style de Bertrand Leclair,
lancinante, pulsionnelle, prise dans l'obsession de la disparition. Une voix
qui trame un écho de peur dans les consciences affaiblies, une voix-fantôme qui
hante les fantasmagories délétères, celles qui fabriquent un monde hostile à
lui-même.
(1)
Quatrième de couverture:
Une femme est seule chez elle, immobile sur un fauteuil, dans un appartement
presque vide. Plus de rideaux aux fenêtres, plus de télé, plus de canapé. Elle
attend qu’on vienne la jeter dehors.
Puisqu’on va l’expulser. Elle le sait et elle ne veut pas, le savoir. Elle
voudrait juste chasser les mots, ne plus penser, et surtout pas à ses deux
enfants qu’elle ne va plus jamais voir, au parloir de la prison. Elle ne leur a
rien dit de l’expulsion qui se prépare, ultime conséquence de leur condamnation
pour trafic de drogue…
mardi 20 septembre 2016
Pause déjeuner
Chantal Mulligan et Michel Gros Dumaine
(Appel
au 05 75 12 34 35 - 13 heures 08)
C’est
peut-être parce que la voix de mon GPS ressemble à celle
de
ma mère. C’est peut-être ça. Elle me dit « à gauche » et c’est
plus
fort que moi, comme si toutes les forces cosmiques me
poussaient
à droite, tu vois ?
A
droite, oui, j’ai pris à droite… et puis après, à droite aussi,
ensuite
à gauche, puis tout droit, à droite, à gauche, je ne sais plus,
c’était
jamais dans le bon sens, jamais dans la bonne direction, j’ai
cru
devenir fou.
J’en
sais rien. Je ne sais plus sur quelle bretelle d’autoroute j’ai
fini
par m’engager. Mais à l’entrée du village, ma mère n’arrêtait pas
de
m’engueuler dans les enceintes : « Demi-tour ! Demi-tour ! »
Elle
m’épuise, elle m’a toujours épuisé. J’étais épuisé, tu
comprends
?
J’ai
coupé le moteur.
Non,
pas sur la bretelle d’autoroute, à l’entrée du village, enfin,
un
peu plus loin que l’entrée, je me suis garé sur la place.
Aucune
idée.
Le
village a un nom qui se termine par « euil » ou par « eille »
Non,
je ne regardais pas mon GPS. Quand je conduis, je regarde
la
route.
Les
panneaux de signalisation, j’aurais réussi à les déchiffrer si je
n’avais
pas oublié mes nouvelles lunettes sur ton bureau.
Ben
non, j’y suis pas. Remarque, si j’y étais, je ne t’aurais pas
appelé
pour te dire que j’y suis pas.
J’ai
déjeuné dans un bistrot du village.
Un
problème ?
Non,
je parle au patron. Il n’accepte pas la Carte Bleue. Attends.
Marc,
je crois qu’on a un souci avec l’addition, je te rappelle.
(Appel du 06 76 13 35 36. 13 heures 09)
Mais
qu’est-ce tu glandes, ça fait deux heures que j’attends ton
appel
? T’es encore paumé malgré le GPS qui m’a coûté une
fortune
pour soigner ton sens merdique de l’orientation !
Lâche-moi
avec ta mère, tu veux ? Le seul tort qu’elle ait eu
c’est
de te concevoir handicapé. T’es pas foutu de reconnaître ta
droite
de ta gauche ? T’as bien pris à droite après la sortie de
l’autoroute
?
T’as
pris la bonne sortie au moins ?
Bon,
laisse tomber ta mère, elle te TOC ! Arrête-toi et coupe le
moteur.
Pas
sur la bretelle d’autoroute, j’espère !
Une
place. Ok, ok et il s’appelle comment ton village avec sa
place
?
Comment
ça aucune idée, il n’a pas de nom ton bled, il n’a pas
de
panneau non plus, tu sais celui qui se trouve la plupart du
temps
à l’entrée pour renseigner les paumés de ton acabit ?
Oh
! Epargne-moi ta méthode syllabique ! T’as regardé MON
GPS
au moins ?
Et
évidemment, t’as pas lu le panneau.
Donc,
tu n’es pas à l’auberge du Faisan bleu ?
Bon
alors tu es où maintenant ?
Tu
picoles déjà ?
Oui,
c’est un problème. Tu le sais mieux que moi et tu veux que
je
te dise…
Si
tu crois que j’ai que ça à faire !
On
a ? Mais c’est toi qui a un souci. C’est ça, rapp…
dimanche 11 septembre 2016
Legato
Préambule.
Le trois juillet mil neuf cent cinquante deux à dix neuf heures trente est né quai de la Charente le premier
garçon d’une famille en construction, reconnu par le père selon déclaration du quatre juillet mil neuf
cent cinquante deux à dix heures
et qui lecture faite, a signé avec Nous Pierre B., chevalier de la légion
d’honneur, adjoint au Maire, officier de l’Etat Civil, par délégation.
Voilà donc, pour moi qui suis désormais être-là, une bonne chose de faite. Un réel bien estampillé,
incontestable. Un état de fait irréversible. Un prélude destinal. Glissera-t-il
peinard vers la fin d’un siècle déjà bien entamé ? Cela reste à voir. Car pour
l’heure, lecteur pressé de tourner la page, l’acte d’officialisation de ma
présence dans notre monde n’offre aucune certitude en ce sens. Pas plus
d’ailleurs qu’il ne fait acte à penser que ce fut une fête, qu’il y avait là de
la joie, que surgissait un miracle nouveau venu transcender celui des Trente
Glorieuses où se tenait béate et travailleuse la génération de mes géniteurs
(et des tiens, non ?).
mardi 7 juin 2016
L'écrivain au dédale.
Saurais-je
dire pourquoi me vient cette idée qui consiste à penser que Lionel-Edouard
Martin avec Icare au labyrinthe travaille
la langue comme le laboureur sa terre, que le lecteur y est convoqué comme
une sorte d'arpète qui l'accompagne sur les territoires oubliés de la littérature?
Cette
phrase lame: Le monde, c'est la langue.
viendrait-elle faire caution d'un projet de renouvellement de l'usage des mots,
d'une mise en œuvre des interstices de la langue par où s'engagerait la
nécessité d'un meurtre au bénéfice de la littérature elle-même, du monde?
C'est
là que Palombine, géniale, à l'instar de l'analyste inculte par obligation, est
venue occuper la place du mort, fiction de la fiction propice à la possibilité
du style et du dit dans le dire de Lionel-Edouard Martin.
Palombine
psychanalyste, sans divan, de la névrose des mots malgré la quête constante de
leur improbable exactitude où s'acharne LioLio l'enfant perdu de Montmo.
- Mon
mot, oui dites!
Et
çà dit, çà s'accroche au souvenir, çà collectionne les lieux, les itinéraires
comme un retour à une psychogéographie oubliée, çà rempli l'espace laissé vide
par l'arbre mort et abattu, çà gronde la beauté du monde, çà dépèce le vivant,
tripes et boyaux, çà rechigne au grand vide contemporain des arts et des
lettres, çà mange, çà boit et çà s'achemine vers le meurtre de Palombine,
l'analyste enfin déchet ou presque tant il reste à jamais des queux de
transfert irrésolu dans la fiction analytique comme dans la fiction littéraire.
Que puis-je faire à présent?
Rien. Partir.
Et mourir seul, dans l'indifférence.
Pour te rejoindre, et mes fantômes.
- Pour te rejoindre, et mes fantômes.
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