Chantal Mulligan et Michel Gros Dumaine
(Appel
au 05 75 12 34 35 - 13 heures 08)
C’est
peut-être parce que la voix de mon GPS ressemble à celle
de
ma mère. C’est peut-être ça. Elle me dit « à gauche » et c’est
plus
fort que moi, comme si toutes les forces cosmiques me
poussaient
à droite, tu vois ?
A
droite, oui, j’ai pris à droite… et puis après, à droite aussi,
ensuite
à gauche, puis tout droit, à droite, à gauche, je ne sais plus,
c’était
jamais dans le bon sens, jamais dans la bonne direction, j’ai
cru
devenir fou.
J’en
sais rien. Je ne sais plus sur quelle bretelle d’autoroute j’ai
fini
par m’engager. Mais à l’entrée du village, ma mère n’arrêtait pas
de
m’engueuler dans les enceintes : « Demi-tour ! Demi-tour ! »
Elle
m’épuise, elle m’a toujours épuisé. J’étais épuisé, tu
comprends
?
J’ai
coupé le moteur.
Non,
pas sur la bretelle d’autoroute, à l’entrée du village, enfin,
un
peu plus loin que l’entrée, je me suis garé sur la place.
Aucune
idée.
Le
village a un nom qui se termine par « euil » ou par « eille »
Non,
je ne regardais pas mon GPS. Quand je conduis, je regarde
la
route.
Les
panneaux de signalisation, j’aurais réussi à les déchiffrer si je
n’avais
pas oublié mes nouvelles lunettes sur ton bureau.
Ben
non, j’y suis pas. Remarque, si j’y étais, je ne t’aurais pas
appelé
pour te dire que j’y suis pas.
J’ai
déjeuné dans un bistrot du village.
Un
problème ?
Non,
je parle au patron. Il n’accepte pas la Carte Bleue. Attends.
Marc,
je crois qu’on a un souci avec l’addition, je te rappelle.
(Appel du 06 76 13 35 36. 13 heures 09)
Mais
qu’est-ce tu glandes, ça fait deux heures que j’attends ton
appel
? T’es encore paumé malgré le GPS qui m’a coûté une
fortune
pour soigner ton sens merdique de l’orientation !
Lâche-moi
avec ta mère, tu veux ? Le seul tort qu’elle ait eu
c’est
de te concevoir handicapé. T’es pas foutu de reconnaître ta
droite
de ta gauche ? T’as bien pris à droite après la sortie de
l’autoroute
?
T’as
pris la bonne sortie au moins ?
Bon,
laisse tomber ta mère, elle te TOC ! Arrête-toi et coupe le
moteur.
Pas
sur la bretelle d’autoroute, j’espère !
Une
place. Ok, ok et il s’appelle comment ton village avec sa
place
?
Comment
ça aucune idée, il n’a pas de nom ton bled, il n’a pas
de
panneau non plus, tu sais celui qui se trouve la plupart du
temps
à l’entrée pour renseigner les paumés de ton acabit ?
Oh
! Epargne-moi ta méthode syllabique ! T’as regardé MON
GPS
au moins ?
Et
évidemment, t’as pas lu le panneau.
Donc,
tu n’es pas à l’auberge du Faisan bleu ?
Bon
alors tu es où maintenant ?
Tu
picoles déjà ?
Oui,
c’est un problème. Tu le sais mieux que moi et tu veux que
je
te dise…
Si
tu crois que j’ai que ça à faire !
On
a ? Mais c’est toi qui a un souci. C’est ça, rapp…
C’est au moment où il m’a raccroché au
nez que j’ai fait le
(Appel au 05 75 12 34 35. 13 heures 27)
Quand
tu m’as demandé d’aller chez le Catalan, alors qu’il est de
notoriété
publique que je déteste jusqu’à l’idée d’une cuisine
expérimentale,
j’y suis allé.
OK,
c’était à tomber par terre, mais même si elle est sublime, ça
reste
de la bouffe de laboratoire. De la malbouffe de luxe. Du
silicone
gastronomique. J’ai pris l’avion, j’y suis allé. Et à mon
retour,
tu avais réécrit tout mon article sans m’en aviser.
J’avais
vingt ans de métier et tu as réécrit mon article.
Tu
as réécrit mon article.
Tu
as…
On
a déjà rempli notre quota d’heures sur la question, je veux
simplement
te rafraîchir la mémoire.
Tu
m’as bien dit que si je fermais ma gueule, si j’acceptais de
signer
une dithyrambe dans la plaque – tu as utilisé ce terme dans
la
plaque –, en accord avec les étoiles du pneu, les attentes des
lecteurs
et ta propre opinion, tu me revaudrais ça.
Tu
l’as dit ?
Ben
voilà, mon vieux, il est temps de payer ta dette.
On
change de sujet. D’article. On change.
Tu
ne lui dois rien, au patron du Faisan Bleu, c’est toi et ton
magazine
qui avez fait la réputation de son restaurant. Tu ne lui
dois
rien. Et je te rappelle que je n’y étais pas. Je n’ai pas déjeuné à
L’auberge
du Faisan Bleu, Marc.
A
moins que tu souhaites reprendre l’article de l’année dernière
en
modifiant le menu du jour.
Ce
n’est pas une bonne idée, Marc.
Marc…
Ce
n’est…
Ni
bonne ni mauvaise, ce n’est pas une idée. C’est de l’ironie,
j’ironise.
A
moi. A moi ça pose un cas de conscience. Je ne vais pas
écrire
un papier sur un resto où je n’ai pas déjeuné.
Arrête
de m’embrouiller, c’est non.
Je
maîtrise parfaitement la situation.
Je
suis dans un village paumé dont j’ignore le nom, je viens de
sortir
d’un boui-boui où j’ai mangé le meilleur osso bucco de ma
vie.
Tu
m’entends, Marc ? Le meilleur.
Alors
quoi ? Tu demandes « alors quoi » ? Alors je l’écris, voilà,
je
l’écris.
C’est
ça, rappelle-moi.
(Appel du 06 76 13 35 36. 13 heures 28)
C’est
quoi ce blême ? Je te préviens, tu ne me fais pas encore le
coup
de l’addition comme avec le Catalan ! T’as pas oublié ?
T’as
pas craché dans ton assiette, ni sur la Riviera espagnole non
plus
? Une bouffe pareille, je rêve !
J’ai
juste retouché la syntaxe.
Le
temps ne fait rien à l’affaire ! Quand on est … on est…
Ah
bon, il était écrit ?
Stop
!
Je
t’écoute.
…
Oui,
je l’ai dit.
La
dette de bouche, c’est déjà fait.
Oui,
moi au moins je paye MES dettes de bouffe. Mais la
réputation
dans les restos sans prétention, tu sais, ça va ça vient.
Mais
tu ne sais pas, hein ? Tu ne peux pas savoir. Tu n’y étais pas !
Et
je n’ai peut-être pas dit mon dernier mot ! Va savoir ? Qui peut
le
plus…
Ben
voilà, tu deviens génial.
Elle
est excellente, ton idée ! Elle est si excellente que j’ai
l’article
de l’année dernière sous les yeux. Ah ! Je vois même que
j’ai
commencé quelques petites retouches.
Ce
n’est pas sublime ça ?
…
pas une bonne idée ?
C’est
parce que tu ne crois qu’à ce que tu vois, comme tu ne
crois
qu’à ce que tu manges ! Je n’ai pas de gros bide, moi.
Regarde
un peu cette ligne, elle est aussi fine que ma ligne
éditoriale.
Si je devais bouffer tout ce que j’écris cela m’empâterait
aussi
le ciboulot !
C’est
parce que tu ne crois qu’à ce que tu écris. Allez, rentre on
va
écrire cet article à quatre mains et commencer ton régime !
Ne
panique pas ma poule, je suis là.
Oui,
je le sens bien que tu maîtrises ton destin. Un vrai GPS sur
pattes
!
Ouah
! Tu es en Italie, il mio amore ?
Je
fais que ça, t’entendre. J’entends même jusqu’à la digestion du
meilleur
osso bucco de ta vie, et alors quoi ?
On
verra, on verra ça plus tard. Je sors fumer une clope et je
t’appelle.
(Appel du 05 75 12 34 35. 13 heures 42)
J’ai
passé ma vie à manger sans avoir faim, à manger pour
m’émerveiller.
Mais quand le patron du troquet m’a posé l’assiette
fumante
sous le nez, une faim archaïque s’est réveillée en moi,
d’une
violence inouïe. Ne va pas imaginer que je me sois retrouvé
subitement
propulsé dans des souvenirs par quelque odeur
familière
: en matière de cuisine, ma mère n’a jamais dépassé les
ailes
de poulet purée Mousseline et si ma grand-mère n’était pas
morte
en couches, son amour m’aurait inondé des relents insipides
du
Gefilte Fish. Cette faim, que cette odeur réveillait, surgissait de
nulle
part, d’un nulle part qui venait de très loin. Et c’était comme
si
durant toute ma vie, j’avais avalé des milliers de repas
somptueux
dans l’espoir inconscient de rencontrer cette faim-là. Je
crois
qu’aucun repas ne m’a jamais autant inspiré, tu
entends
comme je parle ? Je parle comme j’écris, je m’entends
écrire,
Marc !
Pas
plus que d’habitude, je dirais même moins, j’ai bu deux
verres
d’un petit vin de Toscane tout à fait étonnant.
Non,
ce n’est pas un restaurant italien, même si le patron est
petit
et basané, avec une tête de tueur. La carte propose un peu de
tout,
sans pourtant proclamer son métissage, de l’osso bucco, de la
blanquette,
des tagines…
Je
n’ai pas goûté les tagines puisque j’ai commandé un osso
bucco.
J’ignore
si les autres ont apprécié ce qu’ils ont mangé vu que
j’étais
le seul client à déjeuner.
A
part moi, une mémé qui buvait du thé en regardant par la
fenêtre.
Je
n’ai pas l’intention de décrire la vue, qui n’a aucun intérêt, ni
le
cadre, c’est un bistrot quelconque, avec une devanture
quelconque,
des murs quelconques d’une couleur indéfinissable,
marron
je dirais. Ce lieu a pourtant comme un supplément d’âme,
un
petit quelque chose de désespéré et d’infiniment émouvant.
La
propreté, voilà, je vais parler de la propreté, exceptionnelle
pour
un établissement aussi modeste. Mais c’est une propreté sans
odeur
de propre – tu sais à quel point j’ai l’odorat délicat – c’est
une
propreté exclusivement réservée aux yeux et aux doigts. Où
qu’ils
se posent, ils glissent, c’est très reposant. Et les serviettes, je
vais
aussi parler des serviettes, aucun critique gastronomique ne
s’est
jamais soucié des serviettes alors qu’il y pose ses lèvres bien
plus
souvent que sur la peau d’une femme ; celles-ci sont en lin,
immenses,
immaculées et d’une douceur… j’en ai piqué une.
Oui,
j’ai piqué une serviette.
On
s’en fout, du cadre, ce qui compte, c’est ce qu’il y a dans
l’assiette,
c’est la tendresse du veau, c’est l’explosion successive des
épices
en bouche, la petite amertume de l’orange avec la pointe de
cannelle.
Et le coulis ! Le coulis ! Figure-toi que la cuisinière fait
pousser
ses tomates dans la cour attenant au resto et qu’il y a
plusieurs
variétés de tomates dans son coulis ; chacune est cuite et
assaisonnée
séparément. Ensuite… ensuite, je ne sais pas ce que
fait
cette femme, mais c’est miraculeux.
Non,
elle n’a pas voulu sortir de sa cuisine, c’est son mari, le
type
à la tête de tueur qui m’a raconté. Après, bien après. Pendant
que
je buvais mon café. Jusqu’à ce que j’ai eu fini mon assiette, il
n’a
pas desserré les mâchoires. Je sentais son regard posé sur ma
nuque
comme une arme. Au moment où j’ai terminé, il a posé une
grosse
miche de pain sur la table sans prononcer un mot. Il est
resté
planté là, les bras ballant, les yeux très mobiles dans son
visage
inexpressif. Des yeux qui n’arrêtaient pas de passer de la
miche
à moi, et de moi à la miche. Je lui ai demandé si c’était pour
le
fromage, et quel genre de fromage il avait l’intention de me
proposer.
Au bout d’un temps qui m’a paru interminable, il a lâché:
«
Mange ! »
Il
m’a tutoyé, oui.
Il
restait une petite flaque de coulis au fond de mon assiette. J’ai
rompu
le pain, bon, je ne vais pas discourir sur le pain aux céréales
fait
maison, j’en aurais pour une heure, sache qu’il est aussi bon, si
ce
n’est meilleur que celui de Cherrier. J’ai saucé. Et quand j’ai eu
fini
de saucer, il restait du pain.
J’ai
fini le pain.
Le
type continuait de me dévisager en silence. Je ne pourrais
pas
le jurer, mais j’ai eu l’impression – c’était fou – qu’il était au
bord
des larmes. Non, les larmes semblaient couler, réellement
couler,
mais à l’intérieur, comme s’il pleurait en circuit fermé, tu
vois
?
Dès
qu’il s’agit de traduire une émotion, t’es complètement à
l’ouest,
mon pauvre Marc…
Non,
ses larmes n’avaient rien à voir avec de la tristesse.
Ni
avec un cheveu de sa femme dans l’œil.
Non.
Tu
as tout faux.
Il
était bouleversé.
Que
je mange, que j’apprécie, il était bouleversé.
Je
vais très bien, Marc, et je veux écrire cet article.
Le
prix, je vais aussi signaler le rapport qualité/prix, c’est
important,
le rapport qualité/prix : le meilleur osso bucco de ma
vie,
une bouteille d’eau Evian et le petit Sangioveto pour 9 euros
50
seulement. Je pense ajouter un point d’exclamation après
seulement,
qu’est-ce que tu en penses ?
9
euros 50 seulement ! J’ai cru que le type s’était trompé. J’ai dû
insister
pour payer le café offert.
9
euros 50… seulement !
Je
vais écrire cet article.
On
n’est pas en train de discuter.
Il
n’y a pas à discuter.
Ne
discute pas, Marc.
Tu
discutes ?
Alors,
ne me rappelle pas.
(Appel au 06 76 13 35 36. 13 heures 41)
Allo
! Allo ! Alors tu en es revenu de tes fringales
campagnardes
?
Oui,
maintenant tu manges à ta faim. Je comprends, je
comprends…
la fonction prophylactique de l’osso bucco et du
picrate
que tu viens de t’enfiler. Tu t’entends écrire, je rêve !
Et
ton spécialiste de la botte, je suppose qu’il a des origines
sépharades
lui ?
Ben
voila, les tagines. Tu en as testé combien ?
Et
tu n’as pas questionné la clientèle ? C’est une faute
professionnelle,
mon garçon.
Ben
oui, c’est vrai maintenant les paysans n’ont plus droit aux
tickets
restaurant. Tu as du te sentir seul, mon chouchou ? Et à
part
toi, il n’y avait personne dans ce troquet ?
Ah
! Comme un symbole de ta jeunesse fuyante ! Et elle
regardait
quoi, la vieille ?
Ah
! Ah ! Arrête, tu vas me faire pleurer sur cette simplicité
proprette.
Ben
voilà, tu progresses, tu ne mélanges plus les torchons et les
serviettes.
Et tu en as piqué une pour sécher mes larmes ?
Tu
es un ange pour moi. Et l’ange gardien de ce cadre
merveilleux.
Passe-moi
ton couplet sur l’ivresse qui se fout du flacon, tu veux
bien
? Tu l’as vue au moins la jardinière des cours ?
Ben
dis-moi, le coulis maison ne le rend pas cool, ton maître queue.
Vous
vous tutoyez déjà ?
Tu
as joué les Marie-trempe-ton-pain, je suppose.
Et
comme tu n’en prends pas une miette…
Tout
n’est pas perdu ! Et ton bel italien te regardait, fasciné par
ton
charisme…
…
de crocodile…
Non,
je ne vois pas. Tu sais, moi les petites pleurs qui poussent
à
l’intérieur…
Bonjour
tristesse !
Il
avait peut-être une poutre dans l’œil que tu n’as pas vue ou un
cheveu
de la jardinière sous la paupière.
Il
te l’a dit que c’était sa femme, ton calabrais ?
C’est
peut-être la vieille sa femme.
Tu
sais, la vieillesse cela rend tristounet !
Par
ton charisme, je sais. On craque tous ici !
Dis-donc,
tu ne serais pas en train de nous faire une petite
déprime
par procuration ?
On
verra, on verra ! Débrouille-toi d’abord à payer le prix de tes
agapes.
Je
ne pense pas, mon cher. Je m’inquiète pour les comptes de
ma
société.
Monsieur
fait dans la charité ? La ruine est proche.
Bon,
il vaudrait mieux que tu rentres tout de suite.
Cela
peut attendre !
Non
! Mais on ne va pas tarder.
C’est
ce que l’on va voir.
Je
suis encore le patron, non ?
Oui
!
Tu
peux en être sûr. Désormais ta thérapie se fera en face à face
et…
C’est au moment où j’ai supprimé le
contact de Marc sur mon
Iphone qu’elle est apparue. Quelques
minutes à peine après notre
conversation téléphonique. Je me tenais
debout, sur la petite place
en face du restaurant où j’avais
déjeuné, surpris par ma décision
brutale de quitter mon job, tremblant
encore de mon
incompréhensible audace. Mes yeux ont
quitté l’écran tactile où la
corbeille venait d’engloutir mes vingt
ans de carrière… ont balayé
machinalement la rue… les façades
décaties… les bacs sans
fleurs… le banc tagué… elle venait de
sortir par la porte latérale du
troquet, un tablier maculé de traces de
tomate noué autour des
hanches, un sac poubelle pendu à chaque
bras. Mes yeux ont
d’abord été attirés par le mouvement qui
froissait le silence de la
place. Je ne la voyais pas encore, pas
vraiment, je suivais d’un
regard absent une silhouette qui
bougeait. Le balancier de ses bras
lestés et celui de ses hanches. Et
soudain, elle a eu cet
imperceptible mouvement de la nuque, un
étirement sur le côté
pour soulager une tension. Mes yeux ont
suivi le basculement de
ses cheveux, qu’elle avait très longs,
serpentins. Quelques boucles
ont frôlé le dos de sa main. Mon regard
s’est fixé sur la main. Sur le
bras. Sur l’épaule. Sur la chevelure,
épaisse, qui recouvrait son dos.
Sur ses hanches. Sur le balancier
pendulaire, hypnotique, de ses
hanches. Le tic tac de ses hanches. La
promesse du rendez-vous
avec ses hanches. Tandis que je la
regardais se diriger vers le
container de l’autre côté de la rue, ma
main libre – l’autre tenait
toujours le téléphone portable – s’est
glissée dans ma poche, a
caressé la texture de la serviette,
douce – je le savais à présent –
comme sa peau. Ce vol anodin en augurait
un autre.
Quelque chose est remonté, a explosé
dans ma bouche, s’est
posé délicatement sur ma langue. C’était
le goût des heures.
A attendre devant un plant, à rêver
derrière une casserole.
Le goût du coulis de tomates.
J’ai su qu’à l’instant où cette femme
reviendrait sur ses pas, rien
ne serait plus comme avant. Ni pour elle
ni pour moi.
rapprochement.
Elle était toujours dans la
restauration, ma reine du coulis,
malgré la chute. Un boui-boui de
cambrousse, dans un village qui
fuit les GPS les plus sophistiqués. Et
c’est l’handicapé de
l’orientation et de la comprenette qui
tombe dessus avec ses gros
sabots et ses pulsions incontrôlables.
J’allais devoir lui faire l’article
pour le mettre au parfum.
L’auberge du Faisan bleu !
Il ne sait pas que je n’en avais rien à
foutre. Que l’écart dans
mon éthique professionnelle, c’est pour
elle que je l’avais fait. Que
je l’envoyais aujourd’hui pour rectifier
le tir et ourdir ma
vengeance, ce « faisan ». Pour montrer
au tôlier les failles de sa
tambouille, pas pour forcer la porte de
l’arrière-cuisine d’un rade de
cambrousse. Il va lui fabriquer des
grâces à celle qui faisait cocu les
maîtres-queues de mon catalogue. Ce
n’est pas de silence que je
vais froisser son délire au voleur de
serviette et ses probables
considérations de maquignon. Je lui en
ficherai, moi, à son regard
absent des rendez-vous de hanches, des
basculements de pilosité,
des étirements de nuque et des
serpentins de jours de foire. Elle ne
l’a pas laissé tomber sa serviette, que
je sache ? Attends, bouge
pas, tu ne perds rien pour attendre
prince de mes…
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