Du côté du savoir.
L’acte psychanalytique marque sa différence de
toute pratique psychothérapique par la nature de l’écoute où s’entend la
demande inaugurale des personnes en souffrance, et par la manière d’y répondre.
Le psychothérapeute répond à la plainte du
« mal de vivre » par une localisation dans son « savoir »
des causes de la souffrance de l’autre, et définit le moyen qui convient à sa
résolution en quête d’une adhésion susceptible d’en rendre opératoire le
« traitement ».
En psychothérapie le « savoir » est du côté du psychothérapeute.
Le psychanalyste ne répond pas en terme de
« savoir » à la « vérité » de la plainte, car dans cette
manifestation initiale la souffrance psychique qui y réside est intimement liée
à un déficit de parole.
En s’abstenant de répondre ainsi à la demande, le
psychanalyste ouvre l’espace d’une parole pour le sujet, propre à lui permettre
de découvrir les évènements de sa vie où se nouent les causes ignorées de sa
souffrance.
En psychanalyse le « savoir » est du côté de l’analysant.
Du côté du temps.
Le « travail » psychanalytique mène
l’analysant à un retour sur son histoire.
Ce cheminement demande du temps, le temps qu’il
faut, et souvent pour la première fois. Dans cette patiente reconstruction,
l’analysant découvre en lui-même un savoir qu’il préférait ignorer et des
moyens pour l’assumer.
Il avance à travers ses propres mots en suivant
son propre itinéraire. Les interventions de l’analyste permettent de franchir
les obstacles difficiles de ce parcours, sans substituer aux mots de
l’analysant les mots d’un « savoir supposé ».
L’analysant trouve ainsi une place pour ses
questionnements, où ils seront enfin entendus. En formulant les apories
auxquelles il se heurte, il découvrira les solutions qui sont les siennes, la
singularité de son désir et la valeur de sa parole, la modification de ses
symptômes.
En psychanalyse le temps est du côté du travail psychique.
Les psychothérapies actuelles, prises dans
l’urgence d’un monde pressé de courir à sa perte, récusent la nécessité et la
fécondité de ce cheminement et spéculent soit sur l’immédiateté de l’abréaction
émotionnelle, soit sur le « savoir supposé » du « psy ».
Elles réduisent l’histoire du sujet à sa
dimension traumatique, et scotomisent ainsi son inscription symbolique dans une
généalogie qui comporte inévitablement des trous, des ruptures et des pertes.
Elles favorisent de ce fait les idéaux de
jouissance immédiate, de maîtrise et d’efficacité, – ou de soumission. Elles
renforcent l’idée que le sujet n’a besoin que de réponses ou de solutions.
En psychothérapie le temps est du côté du psychothérapeute.
Du côté du transfert.
Nombreuses sont les situations de paroles, comme
d’autres formes d’expression qui permettent à des degrés divers un travail
d’élaboration vers la découverte de sa propre histoire, de ses désirs, et d’une
meilleure affirmation de soi.
Toutefois, la limite de ces processus coïncide
avec la prise en compte de la situation transférentielle qui doit être reconnue
dans sa valeur d’expression du désir pour ne pas produire des identifications
assujettissantes aux idéaux du psychothérapeute, ou des fusions grosses de
déchaînements passionnels.
La solution classique consiste souvent à borner
l’expression subjective par l’autorité du praticien qui s’exerce sous les
formes variées de la suggestion, de l’hypnose ou de la relaxation, et à
laquelle, bon gré, mal gré, le « patient » donne son assentiment, se
privant ainsi d’aborder les sources inconscientes de sa relation à
« l’autorité ».
En psychothérapie le transfert est du côté de nulle part.
A ces risques propres à toutes situations de
parole, la conception psychanalytique du transfert apporte une réponse et une
explication dans la manière de comprendre et de régler la question de
« l’autorité » accordée au praticien.
Le psychanalyste laisse cette place vide et
permet ainsi à l’analysant de faire l’expérience des voies par lesquelles il
attribue à l’autre le savoir et la puissance dont il se sent dessaisi.
La dépendance transférentielle sera alors traitée
comme une confrontation avec les expressions de l’inconscient à laquelle
n’échapperont ni l’analysant, ni l’analyste.
En psychanalyse le transfert est du côté de toute part.
Du côté du langage et de la parole.
Si le psychanalyste s’interdit d’objectiver son
savoir, c’est parce que l’expérience analytique révèle une autre dimension de
la parole, celle qui consiste pour l’analysant à être enfin entendu au-delà des
éléments de sa plainte, en légitimant l’expression des motions inconscientes et
en l’incitant à dépasser les craintes qu’elles lui inspirent.
Au-delà de la dimension instrumentale, langue et
parole constituent le milieu symbolique dans lequel il importe, pour tout
sujet, de prendre sa propre place, sans prétendre les maîtriser. Cette activité
lui permet d’exister sur un autre plan que le vécu immédiat et d’y mobiliser
ses ressources. Elle ne lui est pas moins précieuse que sa propre vie, car là
où le travail de symbolisation défaille, là où la parole manque, le sujet est
en souffrance.
La retenue du psychanalyste renvoie directement
l’analysant à la polysémie structurelle de la langue, à toutes les associations
possibles. Elle révèle ainsi qu’entre le réel et le désir, entre le but et la
réalisation, entre la jouissance espérée et le plaisir obtenu, l’accord parfait
est une dangereuse illusion rétrospective, une nostalgie régressive dont chacun
perpétuellement est tenu de faire le deuil.
La reconnaissance du caractère structurel du
malentendu, de l’écart et de la différence, fonde l’espace de l’ouverture au
non savoir où le désir trouve à se faufiler et où le sujet réinvente pas à pas
sa propre façon d’exister.
Seul ce principe d’inadéquation permet de
concilier singularité et vie en commun, et d’accueillir l’altérité propre à la
condition humaine.
En psychanalyse langage et parole sont du côté de « l’être ».
Le psychothérapeute, au contraire, vise l’action
« adéquate ». Il redéfinit la demande, y apporte une réponse. En
axant sa pratique sur une technique formatée, un objectif et un résultat
définis, il fait passer au second plan le travail de la langue et de la parole.
Il stimule la toute puissance du « moi », tenant ainsi à l’écart de
son « patient » le fondement humain de l’altérité.
En psychothérapie langage et parole sont du côté du « par-être ».
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