Elle est venue me consulter pour dire qu’une
succession de pertes rendait son existence vide de sens. La perte d’une
« Anaïs », à l’âge qu’on dit de raison, marquait, pour cette mère,
d’un poids démesuré et momentanément sans recours la possibilité d’un sursaut.
Les mots eux-mêmes, dans la vie de tous les jours, ne trouvaient plus, chez ce
professeur de lettres, de force ni de destinataire. Elle leur cherchait une
autre scène dont mon adresse, pour ce qu’elle en savait confusément, ouvrirait
l’espace. Cette « autre scène », bien sûr, j’avais fait le choix d’en
organiser le praticable où cette future analysante me convoquait sans ambages.
« Sans ambages » n’est pas le terme
approprié par où les mots se présentent dans les premiers instants d’une
analyse. D’abord ils circonvolutionnent, ils tergiversent, ils tournent en
ronron, ils s’évitent, ils illusionnent… bref ils se cache-cachent et
double-cachent ainsi le parlêtre qui s’y engage. Mais le choix de
l’oralité oblige et le « dites-les ces mots » dit sans ambages auquel
je prêtais ma voix fut mon seul recours. Ils vinrent, tristes, frapper à la
porte de la langue est la maison de l’Être et petit à petit,
s’engrossant d’eux-mêmes, pleurer et rire, faire lieu.
C’est le M***, lieu masqué, de Lionel-Édouard
Martin qui m’a fait penser à cette analysante dont je n’ai jamais connu le nom.
De « mon mort, rions », qui pourrait
penser hors des sketches de Pierre Desproges que cela soit une idée acceptable?
Bien peu de monde, en effet, s’il ne se frotte à la torture des mo(r)ts auquel
le praticable de la psychanalyse les soumet, auquel l’acte scripturaire les
convoque. À leur mort. À leur résurrection. Destin.
De « mon mot, rions » semble dire alors
d’une voix-voie commune le psychanalyste et l’écrivain.
Anaïs ou les Gravières est un grand
livre, comme je peux dire, déchet devenu, que mon analysante, prise hier dans
la mère douloureuse, est aujourd’hui devenue une grande femme. Affaire de mort,
de naissance, de destinée, que celle de la littérature prise dans l’exigence,
la précision et la poétique des mots de Lionel-Édouard Martin. Oui, dites-les
ces mots, encore et encore, sans crainte, le lecteur ne se déchetise pas comme
le psychanalyste!
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