mardi 6 octobre 2015

Sommes.





Lecture : « On est tous les trois assis, moi Papa, Maman.» page 71

Il y a toujours dans les grands textes une phrase lame qui contient toutes les autres. Une phrase lame qui saisit l’âme du lecteur et le conforte par son tranchant dans les bienfaits de la déroute où il s’est engagé et dont la littérature devrait sans cesse être le lieu de la pratique voire celui de la théorie.

C’est à l’entame, ou peu s’en faut, du chapitre 12 sur les 17 de Sommes, que, tardive ou retenue, délibérément anodine cette phrase lame vient apaiser les hésitations du lecteur à suivre le chemin proposé en sa trace hésitante et pudique sous la plume de l’auteur.

« moi Papa », fil tranchant de cette phrase lame, fil tranchant au service annoncé d’une coupure et d’une cicatrice, marques indélébiles et nécessaires à quelques ruptures conséquentes ou à quelques engagements de nécessité. Ce « moi Papa » qui cherche au fil du texte sa propre coupure à laquelle une virgule seule ne suffit pas. Et donc…

… il y a toujours dans les grands textes un pari narratif. Il se présente toujours, lui aussi, comme tentative déroutante. Comme la fabrique d’un autre lieu, tissé par des chemins de traverse, autre que celui soporifique des chemins habituels où le lecteur dénie sa propre fiction dans le confort des fictions acceptables. Un lieu-personnage surplombant les fictions ordinaires qui s’accrochent à sa texture.

Sommes est la réussite de ce pari que peu de textes aujourd’hui affrontent, préoccupés qu’ils sont à laisser le lecteur dans la lourdeur de son dasein, dans la variété in-signifiante des « je » illusoires et dans la dénégation de leur division constitutive.

Sommes est le travail de cette division nécessaire qui se déploie sous nos yeux, effaçant les « je » superfétatoires pour mieux défricher les sentes sinueuses qui mènent à la dit-mention signifiante du sujet et à la possibilité d’une clarté de son être-là.

 

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