mardi 6 octobre 2015

Excès interprétatifs d'Anaïs ou les Gravières.


 
 
 
Elle est venue me consulter pour dire qu’une succession de pertes rendait son existence vide de sens. La perte d’une « Anaïs », à l’âge qu’on dit de raison, marquait, pour cette mère, d’un poids démesuré et momentanément sans recours la possibilité d’un sursaut. Les mots eux-mêmes, dans la vie de tous les jours, ne trouvaient plus, chez ce professeur de lettres, de force ni de destinataire. Elle leur cherchait une autre scène dont mon adresse, pour ce qu’elle en savait confusément, ouvrirait l’espace. Cette « autre scène », bien sûr, j’avais fait le choix d’en organiser le praticable où cette future analysante me convoquait sans ambages.

« Sans ambages » n’est pas le terme approprié par où les mots se présentent dans les premiers instants d’une analyse. D’abord ils circonvolutionnent, ils tergiversent, ils tournent en ronron, ils s’évitent, ils illusionnent… bref ils se cache-cachent et double-cachent ainsi le parlêtre qui s’y engage. Mais le choix de l’oralité oblige et le « dites-les ces mots » dit sans ambages auquel je prêtais ma voix fut mon seul recours. Ils vinrent, tristes, frapper à la porte de la langue est la maison de l’Être et petit à petit, s’engrossant d’eux-mêmes, pleurer et rire, faire lieu.

C’est le M***, lieu masqué, de Lionel-Édouard Martin qui m’a fait penser à cette analysante dont je n’ai jamais connu le nom.

De « mon mort, rions », qui pourrait penser hors des sketches de Pierre Desproges que cela soit une idée acceptable? Bien peu de monde, en effet, s’il ne se frotte à la torture des mo(r)ts auquel le praticable de la psychanalyse les soumet, auquel l’acte scripturaire les convoque. À leur mort. À leur résurrection. Destin.

De « mon mot, rions » semble dire alors d’une voix-voie commune le psychanalyste et l’écrivain.

Anaïs ou les Gravières est un grand livre, comme je peux dire, déchet devenu, que mon analysante, prise hier dans la mère douloureuse, est aujourd’hui devenue une grande femme. Affaire de mort, de naissance, de destinée, que celle de la littérature prise dans l’exigence, la précision et la poétique des mots de Lionel-Édouard Martin. Oui, dites-les ces mots, encore et encore, sans crainte, le lecteur ne se déchetise pas comme le psychanalyste!

 

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