Lecture : « On est tous les trois assis, moi
Papa, Maman.» page 71
Il y a toujours dans les grands textes une phrase
lame qui contient toutes les autres. Une phrase lame qui saisit l’âme du
lecteur et le conforte par son tranchant dans les bienfaits de la déroute où il
s’est engagé et dont la littérature devrait sans cesse être le lieu de la
pratique voire celui de la théorie.
C’est à l’entame, ou peu s’en faut, du chapitre
12 sur les 17 de Sommes, que, tardive ou retenue, délibérément anodine cette
phrase lame vient apaiser les hésitations du lecteur à suivre le chemin proposé
en sa trace hésitante et pudique sous la plume de l’auteur.
« moi Papa », fil tranchant de cette phrase lame,
fil tranchant au service annoncé d’une coupure et d’une cicatrice, marques
indélébiles et nécessaires à quelques ruptures conséquentes ou à quelques
engagements de nécessité. Ce « moi Papa » qui cherche au fil du texte sa propre
coupure à laquelle une virgule seule ne suffit pas. Et donc…
… il y a toujours dans les grands textes un pari
narratif. Il se présente toujours, lui aussi, comme tentative déroutante. Comme
la fabrique d’un autre lieu, tissé par des chemins de traverse, autre que celui
soporifique des chemins habituels où le lecteur dénie sa propre fiction dans le
confort des fictions acceptables. Un lieu-personnage surplombant les fictions
ordinaires qui s’accrochent à sa texture.
Sommes est la réussite de ce pari que peu de
textes aujourd’hui affrontent, préoccupés qu’ils sont à laisser le lecteur dans
la lourdeur de son dasein, dans la variété in-signifiante des « je » illusoires
et dans la dénégation de leur division constitutive.
Sommes est le travail de cette division
nécessaire qui se déploie sous nos yeux, effaçant les « je » superfétatoires
pour mieux défricher les sentes sinueuses qui mènent à la dit-mention
signifiante du sujet et à la possibilité d’une clarté de son être-là.
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